Il était une fois une famille unie, qui vivait au quartier le plus traditionnel de ‘Casablanca: les Habous. Un père une mère, une deuxième mère, quatre enfants, trois filles et un garçon. Le père tenait une boutique de tissu à Derb Omar, la maman s’occupait de ses enfants à la maison
Nous habitions une grande maison, il y avait de la place pour tout le monde. Une chambre pour chaque maman, une chambre pour mon frère et une grande chambre pour nous les filles. Nous allions tous à une même école privée une école, qui se trouvait en face de l’ancienne régie des tabacs, elle s’appelait l’école du Prince Moulay Hassan, mais pour tout le monde c’était ‘l’école Alami’ d’après son fondateur. Cette institution était l’une des plus prestigieuses de l’époque. Elle offrait un enseignement bilingue (Arabe et français), et son système était un des plus stricte et des plus rigoureux des années soixante et soixante-dix.
Lorsqu’on y est accepté, la galère commence, jusqu’à la fin du primaire et l’accès au secondaire. Une école qui vous marque à jamais. Une véritable machine, les élèves devaient savoir ‘dealer’ avec le rythme infernal de l’établissement. Sinon ils le quittaient à jamais. Les maîtres étaient, certes compétents, mais d’une sévérité qui frise parfois le sadisme. On recevait des coups de bâton, pour le moindre écart. Échanger un mot avec un autre élève en plein cours, rater un test de grammaire. Oublier d’apprendre une leçon, ne pas faire un devoir. Toutes les raisons étaient bonnes pour certains de nos instituteurs, pour nous donner une bonne raclée. Des coups de bâton sur les mains, les pieds et les plus cruels, nous les donnaient sur les bouts des doigts.
Plus la peine de chercher cette école aujourd’hui, elle a disparu, cédant la place à un bloque d’immeubles d’une triste laideur.
Malgré tout cela j’en garde des souvenirs inoubliables. Je garde aussi une vive nostalgie, pour le quartier que je traversait pour y aller.
Je passais devant une des grandes portes de la Mosquée Mohammadi, et coupant par les arcades, j’arrivais aux ruelles du quartier populaire ‘Derb Lihoudi’, portant mon cartable à bout de bras. Il était lourd, car plein de livres de français, de math. d’arabe, etc. Qui dataient de l’époque du protectorat. Il y’avait un livre de lecture de Français, édité à l’époque uniquement pour les Marocains. Tous les petits personnages de ce livre portaient des ‘djellabas’, des burnous, des ‘taguias’, principalement des garçons et s’appelaient, pour la plupart ‘Ali et Jilali’.
longeant ces ruelles allègrement, j’arrive enfin devant ma pâtisserie préférée, où j’achetais mon petit pain au chocolat, pour ’15’ centimes.
Juste à vingt mètres de l’école, il y avait ‘Palametro’ notre bien cher marchand de pépites et de réglisse en poudre, des gommes à mastiquer roses qu’on appelait ‘bazoga’. Nous ne faisions jamais le lien avec le Bazooka, lance-rocket américain . Bien sûr, il y avait aussi le gars qui vendait de la crème glacée, qui n’avait de crème que le nom. Il la proposait dans un gros bidon d’un aspect douteux. Cependant cette ‘glace’ qu’on appelait ´Labanille’, était un délice. Que de fois les enfants dans les rues que j’empruntais, m’arrachaient mon corner et me laissaient en pleur, perplexe devant tant de témérité.
L’école remplissait tout notre temps, on avait le français le matin de 8 h à 11 h 30 et l’après-midi l’arabe de 14 à 17 h. Chaque soir on avait une quantité de devoirs pour le lendemain, qui nous occupaient toute la soirée. Surtout que mon père ne tolérait pas la paresse et veillait à ce que nous fassions nos devoirs et nous interdisait de regarder la télévision, sauf au moment du dîner qui coïncidait toujours avec le journal télévisé.
La crainte, que notre père nous surprenne en train de regarder la télé, nous poussait souvent à nous cacher dans la grande armoire de la salle de séjour. Une fois, j’étais si terrifiée que j’ai demandé à ma sœur aînée ‘ou est mon père?’. Elle me répond en me montrant le bout de son nez ‘Il est là’. Je me suis mise à pleurer, on m’appelait la pleurnicheuse ‘Aicha dmi3a’.
On attendait qu’il quitte la pièce pour déguerpir en courant vers nos chambres.
Le seul loisir permis était la lecture. Demander de l’argent de poche à mon père relevait de l’exploit pour moi, je n’osais point et devais toujours passer par ma mère. Cet argent était toujours dépensé, chez le bouquiniste de la rue ´Mustapha Al Maani’. Des livres et toujours des livres, aller au cinéma était hors de question, pourtant nous adorions les films américains. Les amies sont toujours invitées à venir chez nous. On n’était pas autorisées à aller chez elles, mes sœurs et moi. Des ordres paternels impossibles à bafouer.
Notre occupation principale était l’école, et après l’école il y avait la lecture. Parfois l’école organisait des spectacles africains, ou présentait des westerns à la cantine le samedi, auxquels tous les élèves étaient conviés. C’était notre seule distraction.
L’été c’était les vacances chez notre grand-mère à Meknès, pas moyen d’y échapper. La chaleur était étouffante, mais nous n’avions pas le choix. Ma sœur et mon frère, plus âgés, devaient même prendre des cours en plein été à Meknès, pour être prêts à affronter de nouveau l’école en octobre.
L’éducation était solide et sévère, mais aussi empreinte d’affection et de compréhension. Souvent mon père me disait que j’avais de la chance, de grandir dans des conditions meilleures que les siennes, à une époque où le Maroc sortait du protectorat et commençait à connaitre un développement et une évolution, significatifs. Contrairement à lui qui a eu une enfance très courte, car il devait quitter la maison familiale à ‘M’daghra’ au ‘Douar Chorfa’ région de Tafilalet, à l’âge de sept ans, il devait déjà s’assumer et subvenir à ses besoins à un âge où un enfant avait encore besoin de ses parents. Il atterrit à Fès, passage obligé, pour tous ceux, en quête de savoir et de connaissances spirituelles. Plus tard, il s aventura, direction la nouvelle ville de Casablanca, où il se lança dans la vente de tissus.
Il acquit une très bonne réputation, pour sa droiture et son honnêteté. Les clients venaient directement chez lui, ‘chez charif’, de toute la région de Casablanca. Ils faisaient leurs emplettes et lui de son côté, les invitait à déjeuner à la maison. Ce qu’il gagnait à la boutique, il le dépensait pour les nourrir. Sa marge bénéficiaire ne dépassait jamais les 10 pour cent prescrits, par le prophète Sidna Mohamed que la prière et le salut de Dieu soit sur lui.
J’ai voulu partager avec vous, mes amis, cet épisode de ma vie.
A mes parents
Ô, mon Seigneur, fais-leur; à tous deux; miséricorde comme ils m’ont élevé tout petit.» [Sourate 17 Al Israa, versets 23-24]
Sur la photo, il y a mon père, ma jeune mère, la première épouse de mon père, mon frère, ma sœur et moi au milieu, sur la chaise. Ma petite sœur Aziza n’était pas encore née.