La famille Al Atrach et l’exil
Début de l’année 1917 du siècle dernier est né Farid Al Atrache, en Syrie, dans la ville de Soueïda. Sa famille était une des prestigieuses familles druzes syriennes. Une famille de princes, qui a combattu l’occupation française en Syrie et a dû quitter le pays dans les années vingt. Fuyant le colonisateur français, Farid, Amal (Smahan) Fouad et leur mère ont pris le train pour Le Caire, sont reçus en tant que réfugiés, sans passeport, sans bagage. L’Égypte leur garantit l’asile politique, dès lors que la famille Al Atrach luttait contre l’occupation.
La mère de Farid était une femme d’une grande beauté, elle a décidé de fuir la guerre, de fuir aussi un mari, juge druze bigame et despote, qui s’est installé à Istanbul.
Farid, son frère et sa sœur furent inscrits dans une école française. Ils voulaient connaître la langue de l’occupant. La mère de Farid la princesse Aliaa qui a donné à Farid sa maîtrise de son instrument de prédilection, le luth. Cette dernière animait des mariages et autres fêtes en Égypte pour subvenir aux besoins de sa famille. Prenant goût à cet art, Farid El Atrache s’inscrit au Conservatoire du Caire, il y reçut une instruction musicale, des plus intenses, il y apprend à maîtriser les instruments, mais aussi à libérer ses émotions, ce qui lui vaudra le surnom de « chanteur triste ».
La musique dans le sang, Farid a grandi auréolé de cet aura artistique, que seuls les grands possèdent. Smahan aussi, avec sa voix merveilleuse suit la voie de son frère, qui avait un amour particulier pour elle. Farid l’artiste né fait carrière dans le chant et la composition musicale, encouragé par sa mère, mais tout aussi bien par les conditions pécuniaires de sa famille. Il devait prendre la relève de sa mère et subvenir à leurs besoins. Son don musical couronné par son instruction, un de ses profs de l’époque n’était autre que Riad Essoumbati, en voyant le talon de Farid, lui assure qu’il n’a pas besoin de lui comme professeur et qu’il était capable de briller tout seul.
Farid devint acteur dans la seconde partie de sa vie, il bâtit sa renommée durant quarante années de carrière, de 1930 à 1970. La majorité de ses films étaient, des histoires d’amour ou des comédies musicales, où il a partagé la vedette avec des actrices, des danseuses et des chanteuses célèbres en Egypte et dans tout le monde arabe.
Embauché par des radios égyptiennes, il ne tarde pas à signer son premier succès avec « Ya retni tere » au milieu des années trente ( 1930)Aux côtés de sa sœur Smahan en 1941, il pénètre le milieu du cinéma en réalisant la bande originale de « Intisar al-chabab », انتصار الشباب
Farid après le décès de Smahan
Le décès de Smahan noyée, avec sa dame de compagnie dans le Nil, dans des circonstances mystérieuses a marqué la fin d’une époque et le début des souffrances de Farid. Elle avait 27 ans à peine.
Même dans son répertoire musical, il parle de chansons avant la mort de Smahan et les chansons après la disparition de celle-ci. Cette tragédie a plongé Farid dans une détresse et une souffrance intolérables. Il a failli perdre son œil, sa pupille s’est déplacée, on ne voyait plus que le blanc de l’œil. Il a dû se faire soigner en Suisse, dans une clinique spécialisée, pendant des semaines, de cette anomalie, causée par le choc de la nouvelle du décès de sa sœur chérie.
Farid se laisse aussi aller à une vie de débauche, devient addict aux jeux de hasard (le poker, surtout), auquel il joue des soirées entières. Il perd beaucoup d’argent et ne s’en soucie pas. Il traverse une passe difficile dont il sort en 1946 avec « Habib Al Omr », l’un de ses plus grands succès au cinéma. Dans tous ses films, Farid El Atrache se met en scène comme un chanteur triste et solitaire, ce qui ne l’empêche pas de parvenir à renouveler régulièrement ses prestations.
Sa série de comédies musicales a commencé lorsqu’il rencontre Samia Gamal, qui était à tous ses débuts. Il l’a recrutée pour ses films et ils sont devenus amants pendant de longues années. Farid avait une passion pour la danse orientale et il aimait regarder Samia Gamal danser. Il en était fou amoureux, pourtant il n’a jamais pris la décision de s’unir à elle, par les liens du mariage, vu que son frère Fouad l’en empêchait lui rappelant à chaque fois ses origines de prince druze et ses traditions.
La vie intime de Farid Al Atrach.
La vie de Farid Al Atrache commence avec un exil dans un autre pays, qu’il adopte comme le sien, quoique le milieu artistique au Caire le considère toujours comme un étranger. Les grands chanteurs de l’époque à commencer par Oumkathoum n’ont jamais accepté de chanter des chansons de sa composition. Cette frustration a poursuivi Farid jusqu’à la fin de sa vie. Le seul à qui il compose une chanson était Mouharram Fouad. Abdelhalim Hafez ne voulait pas lui accorder plus de crédit en chantant ses chansons et Oumkeltoum était très exigeante et refusait d’interpréter le style trop romantique de Farid Al Atrache.
Farid habitait le même immeuble que Oumkalthoum, au Zamalek. Un duplex de trois chambres et une belle terrasse et un genre de salon meublé à la marocaine au premier. Il y habite avec son frère, sa belle-sœur, ainsi que sa demi-sœur Mimi.
Samia Gamal habitait l’appartement en dessous.
Sa maison ne désemplissait jamais, il recevait ses amis tous les jours, il était d’une grande générosité. Farid passe son temps entre le studio et sa maison, où il finissait ses soirées avec amis intimes et souvent jouant au poker, une passion, qui va lui couter toute sa fortune.
Le vice du jeu lui a coûté gros. Il s’entoure aussi de danseuses orientales de l’époque telle Tahiya Kariyouka. Il a eu plusieurs amours dans sa vie et a toujours fui le mariage. Il disait qu’il était marié à son art. Samia Gamal était son premier amour, ça ne l’a pas empêché de la tromper avec d’autres femmes. Ces dernières se jetaient dans ses bras. Il y en avait beaucoup qui étaient mariées. Elles voulaient, se délecter de ses faveurs.
Ses relations amoureuses avec plusieurs femmes est une preuve, que Farid n’a jamais été homosexuel, comme certains se plaisent à prétendre .
Selon une anecdote, de jeunes futures épousées le supplient de passer leur première nuit de noces avec lui et pas avec leurs maris. Une jeune femme est venue taper un soir à sa porte à minuit lui demandant d’être le premier homme dans sa vie. Elle devait convoler en juste noce le lendemain. Bien entendu Farid refuse et lui demande de partir.
La vie de Farid était parsemée d’anecdotes de ce genre. Il a aussi avoué un jour à ses amis, alors agé de de 30 ans, qu’il n’était pas encore circoncis. Farid a subi une circoncision tardive. Un grand sentimental, romantique et espiègle aussi, la musique occupait sa vie, mais il a toujours eu du temps pour les autres.
Les femmes qui ont compté dans sa vie sont Samia Gamal, Shadia, Leila Aljazairya, (mon article du 20 février 2021 ) Il a promis le mariage à Shadia et il n’a pas tenu parole. Shadia ne lui a pas pardonné cette bavure. En effet, le jour où ils devaient unir leur destin, Farid s’est envolé vers la France. Shadia s’est vengée en épousant un autre. Les deux ont commis l’erreur de leur vie.
Durant toute sa vie trépidante, Farid a aimé vraiment une seule femme et voulait vraiment l’épouser, il s’agit de Narimane. Or le Roi Farouk l’a supplanté et a demandé sa main avant lui. Ce qui l’a poussé à se faire discret et enfouir son désarroi et sa déception au fin fond de son être, car son rival était le Roi d’Égypte à l’époque. Toutes ses partenaires dans les films vivaient avec lui sous le même toit. Leila Aljazairya qu’il a ramenée de France, vivait aussi chez lui. Ils ont passé 5 ans ensemble et ont fait deux comédies musicales. Elle l’a quitté lorsqu’elle a rencontré l’homme de sa vie et a fondé un foyer avec lui.
il dit que cinq femmes ont compté dans sa vie et il aurait souhaité demander chacune d’elle en mariage. Ces femmes ne l’ont jamais. Farid n’a jamais révélé leur identité.

Farid et Habib Al Omr
Il raconte avoir vu une femme sur une photo, alors qu’il était malade et alité. Il a décidé d’envoyer son frère Fouad demander sa main. Il découvre qu’elle était fiancée et sur le point de se marier. Les parents de celle-ci lui demandent de venir chanter à son mariage. Farid n’a jamais voulu se marier avec une artiste, il pensait que deux artistes ne pouvaient pas se marier et fonder un foyer. Il aurait souhaité trouver une femme simple, une femme au foyer.
J’évoque ici les années quarante et cinquante en Egypte, pourtant Farid vécut en concubinage avec plusieurs femmes artistes des années durant et ils n’a jamais inquiété. L’Egypte était très libérale, depuis le début des années vingt, trente et jusqu’â la fin des années soixante. Le milieu artistique était à son apogée.
Les chansons de Farid Al Atrach
La musique et les chansons de Farid sont l’expression même de son état d’âme. Toutes les chansons qu’il a composées et chantées expriment sa nostalgie, son amour, sa passion et sa solitude. L’école de Farid est une école orientale, une musique orientale pure. Il ne s’est pas inspiré de la musique occidentale. Tout ce qu’il lui a emprunté à la musique occidentale ce sont les instruments.
Il n’a eu cessé de chercher la voix et le talon qui pouvaient prendre sa relève, et chanter les grands chefs-d’œuvre qu’il a composés. Il était frustré par la carence à cette époque, de voix magnifiques, féminines, à travers lesquelles il pouvait prouver son génie.
Noujoum Ellil cette chanson a été inspirée par un amour impossible, selon les propres paroles de Farid. On dit que sa voix est pleurante, il dit que sa voix est sentimentale. Il chante avec tristesse. Un chanteur triste, toute cette tristesse, vient de la tragique disparition de sa sœur bienaimée Smahan.
Les chansons qui ont marqué sa vie et qui ont été inspirées, par des femmes de son époque: en premier par le décès de sa sœur dont il ne s’est jamais remis
- Kifaya Ya 3ain: pour Smahan https://youtu.be/kFomHqTG1_0
- Aletli Bukra : Samira Ahmed
- Noura Noura : pour Narimane (l’épouse du Roi Farouk)
- Habib Al Omr : pour Samia Gamal
- Hibina : pour Georgina Rizk (quand elle a gagné Miss Univers)
- Hikayat Gharami : pour Shadia
- Ana Kounti fakrak malak : Leila Aljazairya

Farid et Leila Aljazairya
(Consulter mon blog Leila Aljazairya du 20 février 2021)
Souvent la musique vient avant les paroles, disait Farid. Le compositeur peut finir une chanson en neuf mois, un an et parfois en deux minutes. Des fois c’est la musique qui inspire les paroles et pas forcément le contraire. C’est arrivé très souvent à Farid.
L’écrivain Kamel Chinaoui qui a écrit. عدت يا يوم مولدي que Kamel Chinaoui avait donné à Mohamed Abdelwahab et qu’il a récupérée, par la suite à la demande de Farid. Il a composé après neuf mois, en une journée. Une chanson des plus tristes, qui parle du jour de sa mélancolique et morose sa naissance,
Le poker, pour Farid était une fuite en avant, une réponse à un état d’âme tourmenté. Farid disait que: ‘L’argent n’a jamais apporté le bonheur, mais souvent l’argent aide, lors de maladie’. Farid voit le mariage comme une destinée. Il dit que l’artiste n’est pas ‘Monsieur tout le monde , il a besoin d’une femme qui lui apporte la stabilité et qui connaît la valeur de l’artiste, qui est capable de faire des sacrifices. Il ne voulait pas d’une femme infirmière ou nurse, pour s’occuper d’un artiste malade, mais d’une epouse aimante et tolérante.
Farid était obligé d’arrêter le chant pendant un an, pour se reposer, car son cœur était très malade, les trois valves du cœur sont endommagées. Son foie en a été affecté aussi. Il est allé aux USA consulter un des grands spécialistes en cardiologie, mais ce dernier refuse de l’opérer vu que son muscle cardiaque était trop gonflé. Il conseille à Farid de reposer son cœur, de ne pas chanter, ni de se fatiguer. Si le cœur désenfle, il pouvait lui remplacer les trois valves. Malheureusement, Farid n’a jamais récupéré, car il n’a jamais arrêté de chanter, il a continué à exercer sa passion et souvent à la fin d’une soirée musicale, l’ambulance l’attend dehors pour le transporter d’urgence à l’hôpital.

Les derniers jours de Farid
À compter de cette période, l’artiste se fait plus rare sur le grand écran, en proie à la dépression et à ses graves ennuis de santé. Il décède le 26 décembre 1974.