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Le Nicaragua accuse l’Allemagne de complicité dans les crimes à Gaza. La justice internationale continue d’accompagner la guerre en cours.
- Johann Soufi Avocat spécialisé en droit international, ancien directeur du bureau juridique de l’Unrwa dans la bande de Gaza
Une procédure étrange a eu lieu cette semaine devant la Cour internationale de justice de l’Organisation des Nations Unies. Le Nicaragua y traduisait en justice l’Allemagne devant la Cour internationale. Pourquoi ? En raison de manquements allégués de Berlin aux obligations découlant de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide. En clair, le Nicaragua accuse l’Allemagne de complicité dans les crimes à Gaza.
« Le Nicaragua a engagé la procédure le 15 mars dernier et les audiences ont eu lieu le 7 et le 8 avril. Et le Nicaragua a engagé en réalité cette procédure parce qu’il allègue que l’Allemagne, en fournissant des armes à Israël et en ayant cessé de financer UNRWA, l’agence de protection des réfugiés palestiniens, a contribué ou a aidé et assisté le génocide allégué commis par Israël dans la bande de Gaza. »
Pourquoi le Nicaragua d’abord ? « Parce que le Nicaragua peut juridiquement, sur la même base juridique que l’Afrique du Sud a poursuivi Israël, c’est-à-dire sur le droit qu’on appelle en latin erga omnes partes, qui permet à tout État même s’il n’est pas directement affecté par les violations d’un traité international, de saisir la Cour lorsque les enjeux ont un impact sur l’humanité dans son ensemble. Pourquoi le Nicaragua et pas des États arabes ? Ça, c’est des questions de politique intérieure. Peut-être que ces États, notamment la Jordanie, ne veulent pas non plus s’engager dans une procédure qui est très stigmatisante sur la scène internationale et donc attaquer l’Allemagne ou un autre État occidental avec toutes les conséquences politiques que ça peut avoir sur la politique intérieure et sur la politique internationale.«
Le Nicaragua a fait l’objet de graves accusations de violation des droits de l’homme, voire de crimes contre l’humanité, pour la répression des manifestations en 2018 et en 2019. Mais le Nicaragua a aussi une longue histoire avec la Cour internationale de justice. Pour les étudiants en droit qui nous écoutent, ils se rappelleront notamment de la procédure contre les États-Unis pour leur soutien au mouvement anti-sandiniste des Contras, il y a 30 ans maintenant.
« Le problème en réalité de cette procédure, c’est que pour que l’Allemagne soit considérée comme responsable de complicité de génocide par la Cour internationale de justice, il faut au préalable que celle-ci constate l’existence d’un génocide. Or, c’est tout l’enjeu de la procédure entre l’Afrique du Sud et Israël. »
Pourquoi est-ce que la procédure vise l’Allemagne en particulier et pas les Etats-Unis ? Au fond, on pourrait reprocher la même chose aux Etats-Unis, continuer de fournir des armes à Israël d’une part et cesser de financer l’UNRWA d’autre part ? « Si la responsabilité de l’Allemagne est engagée, celle des États-Unis, d’abord militairement, c’est le premier fournisseur d’armes à Israël, mais aussi politiquement. Les États-Unis n’ont pas arrêté de mettre des veto aux demandes de cesser le feu devant le Conseil de sécurité. La raison, elle est simple et elle est juridique. C’est que les États-Unis ont émis une réserve à l’article 9 de la Convention sur la prévention et la répression du génocide qui exigent systématiquement, pour que la Cour internationale de justice soit saisie d’une requête au visa de cette convention, que les États-Unis donnent leur accord préalable. Et donc, en réalité, c’est une manière pour les États-Unis de se protéger contre toute requête ou contre tout contentieux sur cette convention, puisque leur consentement est requis au préalable. »